Charmante Thaïlande – Le Pays Du Sourire Effrayé
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1) L’effrayante province d’Ubon Ratchathani
Je suis sur une grande ligne droite, et je vois que l’autre moto est toujours derrière moi.
Dans la nuit noire de l’Isaan, la moto dans mon dos me suit déjà depuis sept kilomètres. Nous sommes au milieu de nulle part. Je suis sûr qu’ils ont vu le farang sous les lumières du Parc National
de Pha Thaem et ils me rattraperont quand ils le voudront. Alors moi, le farang, je devrai renoncer à ma Honda, à mon portefeuille et peut-être aussi à la vie.
Bienvenu au Pays Du Sourire Effrayé.
Je m’engage dans un long virage, la lumière derrière moi disparait. À ma gauche, il y a un kilomètre de brousse, puis le fleuve Mékong, puis le Laos. À ma droite, il y a de nombreux kilomètres de brousse. Droit
devant moi, mais à encore dix kilomètres et quelques, il y a le paisible village de Khong Chiam où j’ai loué un bungalow pour touristes.
La route est rectiligne maintenant, et la lumière derrière moi revient une nouvelle fois.
Même la stupide et grosse bonne femme de ma cabane à nouilles habituelle, elle me l’avait bien dit : "La nuit, ne sortez pas, d’accord ?" Elle avait fait un geste en direction de ma Honda. "Il y a des gens méchants."
Avec un visage abasourdi et horriblement effrayant elle avait passé sa main tendue le long de sa gorge. J’avais promis de ne jamais m’aventurer en dehors du village la nuit.
À la faible lumière provenant de ma moto-sai, je m’engage dans un autre virage et je perds de vue mes poursuivants une nouvelle fois.
Mais je n’avais pas tenu la promesse donnée à la bonne femme de la cabane à nouilles. Par une après-midi tardive, je suis parti en direction des falaises du parc national de Pha Thaem, à environ 20 kilomètres de Khong
Chiam. J’avais payé 200 bahts ridicules le ticket d’entrée au tarif spécial farang, traversé le minuscule centre d’information et marché en direction du bord qui surplombe le fleuve
Mékong et des terres du Laos. Ah oui, et ensuite je me suis laissé captiver par le coucher de soleil le plus étonnant que je n’ai jamais vu de ma vie. Assis sur la roche chaude, je contemplais et je photographiais le coucher
de soleil, et j’oubliais complètement que ce chef d’œuvre céleste finirait dans quelques minutes – et que la nuit noire suivrait au répertoire. En n’y voyant pas grand-chose, je retournai à
tâtons à la moto-sai et j’essayai de trouver le chemin de retour à Khong Chiam. Je me souvins de la bonne femme des nouilles : "La nuit, ne sortez pas. Il y a des gens méchants."
La moto des gens méchants me suit toujours, depuis environ douze kilomètres maintenant ; je la vois à nouveau alors que nous sommes tous deux sur une grande ligne droite.
Je ne peux par rouler vraiment vite dans la nuit noire et dense, j’heurterais probablement des buffles, des vélos, des poulets, des chiens, des enfants, des chats, des vaches, des noix de coco, des nids de poule ou n’importe quel autre
sujet des charmantes routes départementales que vous rencontrez la nuit venue dans la rurale Isaan.
Sorti de nulle part, un village très pauvre surgit sur le côté droit de la route ; je ne m’en rappelai pas de celui-là. Il y a même un petit étalage de poulet frit. Des lumières de mauvaises qualité, blafardes,
sales, peu attirantes, et seulement quelques personnes sur des bancs cassés. Mais sans trop réfléchir, je plante les freins et j’engage la Honda pile entre les bancs. Des regards surpris m’accueillent, puis les gens
se remettent à mâcher leur maigre bout de poulet avec du khao niaw, le riz gluant. Ils semblent assez apathiques, comme drogués, il est pourtant tout juste sept heures et demie.
Mais mes poursuivants approchent. La moto qui m’a hanté pendant à peu près 12 kilomètres, qui jamais ne m’a lâché. Je veux disparaître complètement derrière l’étalage, mais il est
à présent trop tard, je reste visible.
Deux ménagères âgées en pyjama passent en trombe sur une antédiluvienne moto-sai qui pétarade. Elles transportent environ dix sacs avec des légumes. Elles se dépêchent de rentrer à la
maison pour faire le repas. Elles ne regardent ni à droite ni à gauche.
2) L’effrayante ville d’Ubon Ratchathani
Quand je remarquai que la clé de la moto était égarée, je fus assez ébranlé. Mais très vite je fus encore plus ébranlé – la moto de location s’était dématérialisée elle aussi.
J’avais dansé sans relâche dans ce gigantesque dancing nommé "Only One", ou quelque chose comme ça, qui se trouve aux abords de la ville. J’avais flirté gentiment avec une serveuse de Nakhon Sri Thammarat
(devrais-je m’aventurer en bas dans le sud la semaine prochaine ?) Ensuite, les membres de ce que j’avais pris pour une équipe de volleyeuses en tenue d’entraînement m’avaient invité à venir à
leur table et à partager leur whiskey ; il s’avéra qu’elles travaillaient toutes dans le même grand magasin de meubles près du Tesco Lotus et qu’elles s’étaient amenées en tenue de vente
(devrais-je m’aventurer à la recherche d’un miroir de salle de bains le jour suivant ?).
Bon, il est 2 heures du matin, des lumières aveuglantes sont allumées. Je fais un sourire d’adieu à Miss Thammarat et à l’équipe du magasin de meuble, je m’extirpe de l’embouteillement à la sortie
tout en cherchant des doigts la clé dans ma poche – mais pas de clé ! Horreur !
La clé est peut-être tombée quelque part dans ce hangar qui fait office de dancing ?!? Je reviens comme une flèche à l’entrée. Là je tombe sur Miss Thammarat, en rang avec vingt autres serveuses qui font des wais aux clients sur le retour. Je lui dis que ma clé est égarée et elle veut venir avec moi la chercher. Mais d’abord nous devons négocier notre chemin à travers un groupe d’hommes éméchés qui
dansent toujours comme des derviches pile dans l’entrée. Ils m’attrapent par le bras – "Hello mister, you happy-happy?" Oh, charmante Isaan, par pitié, pas maintenant, le Farang mai content,
le Farang panique, je me débarrasse d’eux d’une manière impolie et non-Thaïe.
De retour dans le hangar vide, la gentille Miss Thammarat et moi-même nous plongeons sous les tables à recherche de la clé. Vous pouvez trouver tout ce que vous voulez là-dessous, mais pas de clé.
Puis j’ai une autre idée : n’aurais-je pas oublié la clé sur l’engin ? En fait, ça m’arrive tout le temps. Dans la paisible Isaan, jusqu’à maintenant, ça n’avait jamais été
un problème. Que je m’arrête à un 7-11, à une banque, à un restaurant, à une pagode ou tout simplement à n’importe quel endroit dans la cambrousse pour photographier quelques nénuphars dans
une mare – à mon retour il y a toujours ma Honda avec la clé, les bagages et tout le reste.
Mais Ubon Ratchathani est une grande ville, et il est carrément imprudent de laisser une moto-sai avec la clé dessus de nuit en face d’une discothèque très fréquentée. "J’ai dû laisser
la clé sur la moto-sai", j’explique à Miss Thammarat du dessous de la table avant de filer comme une flèche une nouvelle fois, cette fois-ci dans le sens de la sortie, de retour au parking.
Et alors – partie la moto-sai. Partie, pour de bon. J’ai à présent un sérieux problème. Pas parce que j’ai donné mon passeport à la société de location, et la caution n’avait
pas été trop lourde (la Honda n’étant pas impressionnante non plus). Mais ils avaient demandé la carte de visite de mon hôtel, et ils ont une copie de mon passeport. Qu’est-ce que je vais faire d’une
Honda de location volée alors que la clé a disparu simultanément ? Toutes sortes d’idées illégales et contraires à l’éthique me viennent alors que je me reste là les mains vides, sur ce parking,
de nuit. Je réfléchis aux nombreuses et déplaisantes conséquences de ce vol de moto, tandis qu’autour de moi des Thaïs exaltés et joyeux partent vers plus d’action quelque part à Ubon Ra’.
Je reste en arrière, seul.
Au début je n’ai même pas remarqué le petit Thaïlandais qui me faisait face patiemment. Quand il réussit à attirer mon attention, je ne suis pas du tout d’humeur pour le baratin habituel "Whereyoufrom".
S’il vous plait, chok-dii khrap maintenant, pas de conversation, je ne me sens pas interactif-
Puis je vois une clé de moto qui se balance au bout de ses doigts ! "La moto-sai, elle est là bas" dit-il. Je l’attrape par le bras et je le traîne jusqu’à la moto.
C’est ma moto ! Tout va bien !
Il semble qu’il soit une sorte de gardien. Il a trouvé la clé et il a bougé ma moto de 20 mètres pour laisser plus de place aux autres clients. C’est drôle qu’il se souvienne que je sois le propriétaire
– je ne l’ai pas du tout vu quand je suis arrivé. Et c’est vrai, manifestement j’avais oublié la clé sur la moto, et il l’a gardé pour moi. Mes vacances ont de nouveau un avenir : je n’aurais
pas à me comporter de façon contraire à l’éthique, je peux rester en Thaïlande. La vie peut être géniale.
Les derviches de l’entrée passent à proximité, toujours exaltés. Maintenant je me sens à nouveau plus amical envers les Thaïs. Je leur lance un grand sourire de soulagement – oui, maintenant mister Farang maak-maak happy-happy.
3) L’effrayante Nong Khai
Le policier me montre d’un signe le bord de la route. Il pointe du doigt le panier de ma Honda Dream – Je sais tout de suite que j’ai un sérieux problème.
Devrais-je essayer de fuir, quelque part dans les ruelles du marché en bord de rivière ? Ridicule, je me planterais dans le premier nid de poule boueux. Devrais-je essayer de rejoindre la route nationale en direction d’Udon Thani ? Avec
une 125 cc, absurde.
Je vois que le policier a d’autres copains en tenue brune postés derrière lui sur le trottoir. Ils m’attendent, moi leur facile proie farang, pour le déjeuner.
Je connais l’arnaque à laquelle ils vont maintenant se livrer. Je le sais parce que ce matin même je l’ai lu sur le Net : "Les policiers Thaïlandais aiment ‘découvrir’ des drogues prohibées dans
le panier de votre motocyclette. Juste un petit paquet. Il vous emmène en prison si vous ne pouvez pas payer une amende de 1000 dollars." Je n’ai pas 1000 dollars. Aussi je connais mon avenir : détenu dans une effroyable
prison du tiers-monde, violé en groupe, infecté par le SIDA ; ils vont me laisser croupir jusqu’à ce que mort s’en suive. Je n’ai rien fait de mal, mon truc c’est juste l’exploration de nids de
poule en moto-sai de location sur les chemins difficiles et charmants de l’Isaan. Où, bien sûr, une police sans scrupules peut facilement m’enlever, en plein jour par une nouvelle journée radieuse
d’Isaan.
Je dirige la Honda sur le trottoir et je m’arrête. ‘Mon’ policier s’approche. Je le regarde en ralenti haute résolution. Va-t-il introduire quelque chose en douce dans le panier de la Honda ? Je ne peux pas le voir
mijoter quelque chose ; ensuite – il montre le panier encore une fois ! Peut-être que le paquet de drogue est déjà quelque part ?
Le policier sourit timidement, il parait presque effrayé, comme moi. Quel acteur, je sais qu’il est juste en train de calculer le nombre de lecteurs de DVD, de réfrigérateurs plein de whiskey et de mia nois qu’il
pourra s’offrir avec mon argent. Deux pas en arrières, ses complices en brun simulent une expression ennuyée. Pourquoi faillait-il que je vienne au Pays Du Sourire Arnaqueur ?
Une nouvelle fois, il montre le panier de la Honda. Avec un sourire désemparé il montre maintenant sa tête, et maintenant il semble montrer ma tête. Est-ce bien poli pour un Thaï ? En tout cas son comportement n’est pas
cohérent avec le scénario de l’arnaque que j’ai lu en ligne. Pour autant que je puisse le constater, je suis toujours sur la moto-sai, je n’ai pas été menotté ni brutalisé, la
situation en matière des Droits de l’Homme est équilibrée jusqu’à maintenant. Je suis son geste en direction du panier de la Honda et je regarde de plus près moi-même. Mais bien sûr, au fond du
panier je peux juste voir le…
… Oh non !!! Maintenant je comprends ! Comme je rougis en souriant et que je commence à rire nerveusement et à pleurer, mon futur tortionnaire apparaît soulagé et son sourire s’illumine de quelques watts supplémentaires.
Évidemment !!! Mais bien sûr !!! Mai pen rai khrap-khrap-khrap!!! Du panier, je prends le –CASQUE – et je l’enfonce sur mon crâne.
Le policier me fait un sourire approbateur. Khrap ! C’est ce qu’il voulait que je fasse depuis toute à l’heure : sortir le casque du panier et le mettre. Je souris et je dis au revoir d’un signe de tête.
Monsieur Loi et Ordre Publique fait de même et avec décontraction il me salue en portant deux doigts à sa casquette. Il fait un pas en arrière et se met en ligne avec les autres gentilshommes en brun. Je suis de nouveau un
homme libre, j’ai un avenir brillant qui vaut la peine d’être vécu. Je pourrais embrasser cet inspecteur de police consciencieux qui fait son devoir dans la chaleur dense : après tout, il vient juste de me sauver de
l’incarcération dans une prison du tiers-monde, du SIDA et de l’extorsion de fonds.
Je pousse la Honda. Charmante Thaïlande, le vrai Pays Du Sourire, me revoilà.
Et devinez quoi – aujourd’hui me revoilà avec un casque !
Titre original : Delightful Thailand – Land Of Scares (http://www.stickmanbangkok.comreader/reader626.html)
Traduit de l’anglais pas MAGD (david.giuseppe@laposte.net)
Ce qu’en pense Stickman
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